Le mois de mars ouvre la saison des tailles au Jardin des Merlettes. La taille d’hiver est une étape très importante pour les arbres fruitiers palissés.
Pourquoi tailler en mars, plutôt qu’en janvier ou février ? S’il ne gèle pas, on peut tailler pendant toute la saison d’hiver. Tout dépend du nombre d’arbres que l’on doit tailler. Pour ne pas imposer de fatigue inutile aux arbres, il vaut mieux tailler les arbres à pépins avant l’éclosion des boutons floraux (un stade appelé E par les arboriculteurs, comme sur la photo ci-dessous), c’est-à-dire, en Puisaye, avant la mi-avril. Que ce soit pour les formes libres (de plein vent) ou les formes palissées, la taille d’hiver se préoccupe de la structure de l’arbre : formation, raccourcissement annuel ou rénovation plus importante, voire élagage. La taille d’été, effectuée éventuellement en plusieurs fois, se concentrera sur la mise à fruits. Contrairement à ce que croient la plupart des gens non initiés, la taille des arbres fruitiers ne correspond pas à un acharnement mais à une nécessité. Pour plus d’information à ce sujet, nous vous référons à notre podcast de mai 2019.

La taille régulière annuelle
Les jardiniers s’inquiètent souvent de la difficulté supposée de la taille des arbres palissés. Mais cette taille n’est pas du tout si compliquée que l’on croit. Il faut simplement respecter quelques étapes. C’est ce que l’on examine en détail durant les deux jours du stage de taille d’hiver des arbres fruitiers palissés que nous proposons au jardin en début de printemps chaque année.
Voir le stage de taille d’hiver des arbres fruitiers palissés
La première étape consiste à bien comprendre ce que l’on va faire : pourquoi et quels éléments tailler ? La réponse à ces questions conditionne la façon de tailler. Pour une taille renouvelée régulièrement tous les ans, on cherche simplement àrapprocher les branches autour d’une certaine forme de charpente. Une grande partie du travail consistera donc à réduire chaque coursonne pour canaliser la vitalité de l’arbre vers les organes productifs. Une autre étape consiste donc à savoir reconnaître chaque organe de l’arbre fruitier que l’on va tailler. Et pour la troisième étape on réfléchit aux possibilités d’évolution de chaque organe identifié : ceux qui deviendront du bois et formeront des rameaux, ceux qui se transformeront en boutons à fruits, et ceux qui végèteront peut-être. Quand tout cela est reconnu et trié, on peut tailler.
Il s’agit donc d’un processus analytique, assez lent au départ, le temps d’acquérir le coup d’oeil . Une fois que l’on a compris la méthode, le coup de main vient assez vite. Et bien sûr, mieux un arbre a été taillé l’année précédente, plus il est simple à tailler, surtout si une taille d’été a également été effectuée.
La forme la plus simple : le cordon
Le cordon est la forme la plus simple à tailler car il s’agit de former une branche charpentière toute droite. On procède doucement, en laissant ces branches charpentières s’allonger peu à peu. Pour cela, on taille chaque année leur extrémités, aussi appelées “prolongements”, de façon à ne garder chaque année qu’une volée de bourgeons. L’emplacement des bourgeons le long d’une branche suit en effet un schéma bien précis, toujours le même pour une même variété. Pour le pommier par exemple, ce schéma est hélicoïdal, comme un escalier à vis. Entre un bourgeon situé face à vous sur la branche et le suivant placé de la même façon, il y en a 4 à 6 autres. Observez vos arbres, vous reconnaîtrez vite ce schéma. Cet arrangement géométrique spécifique des bourgeons le long de la branche s’appelle la phyllotaxie.
L’objectif de la taille annuelle est d’installer une forme “en arêtes de poisson”, c’est-à-dire d’obtenir qu’à tour de rôle, une coursonne pousse sur la droite du cordon, puis une autre à gauche, pas de coursonne sur le dessus du cordon, et pas de coursonne en dessous. Comme l’implantation des bourgeons le long de la branche répond toujours à la même géométrie, le fait de choisir toujours un bourgeon orienté de la même façon à droite puis à gauche résulte en un écartement des coursonnes qui reste sensiblement le même tout au long du cordon. Cette régularité constitue un élément esthétique important dans la taille des arbres fruitiers.
Pour nous assurer que ce processus analytique est bien compris, nous demandons pendant nos stages à chaque élève tour à tour d’expliquer ce qu’il voit et pourquoi il propose telle ou telle solution. Plusieurs alternatives sont souvent possibles. Une fois que la taille est effectuée, on vérifie les liens tout le long du cordon car celui-ci a augmenté de diamètre depuis la taille de l’année ou de l’été précédent. Et on finit en raccourcissant les prolongements des charpentières. L’exemple ci-dessous montre la taille d’un pommier ‘Reine des Reinettes Bonnin’ conduit en cordon simple bilatéral.



Le résultat peut sembler un peu dépouillé; pourtant, dès le mois de septembre, on constate que l’arbre a une belle vigueur et que nos efforts ont porté leurs fruits. Les arbres palissés du Jardin des Merlettes ont été plantés en novembre 2006 et les formes en cordons simples ou multiples portent maintenant régulièrement des fruits. Les formes en fuseaux sont encore en formation mais portent des fruits dans la partie inférieure des arbres comme ci-dessous, ce poirier ‘Beurré Hardy’.

Des formes un peu plus difficiles : croisillons, U et palmettes
Pour ces formes, la difficulté provient de la nécessité de créer des angles : il faut donc tailler les charpentières de façon à ce qu’elles produisent des pousses dans la direction nécessaire. Une fois les pousses obtenues, on attache soigneusement les jeunes branches en les dirigeant simplement avec un lien souple (du raphia par exemple) pour installer la forme. On reviendra plusieurs fois pour ajuster la forme peu à peu en resserrant le lien, à l’occasion de la taille d’été par exemple. Mais on attendra que le bois soit bien aoûté l’été suivant pour utiliser un lien rigide.
Pour chaque forme, tri croisillon, cordon à plusieurs étages ou palmette, il faut anticiper la pousse de l’année et comprendre comment l’arbre va évoluer. Dans certains cas (photo ci dessous, au milieu), on pratique une taille d’attente car on n’installera un étage supérieur que lorsque l’étage inférieur aura achevé sa pousse.



Comme pour les formes en cordons, on ne laisse les branches charpentières s’allonger que d’une vingtaine de centimètres au plus chaque année. Si, pour les cordons horizontaux on enlève les rameaux sur et sous le cordon, pour les cordons verticaux, il faut supprimer les rameaux qui poussent soit sur le devant, soit sur l’arrière des branches. Ces précautions permettent aux coursonnes latérales de s’installer du haut en bas des branches charpentières et d’assurer ainsi une bonne production fruitière avec un fruit tous les 15 cm environ. Un arbre palissé se construit tout doucement, entre 10 et 15 ans pour la majorité des formes. Quand on choisit une forme fruitière, il faut donc prendre en compte le temps que l’on peut accorder à l’établissement des arbres. Quelques formes assez faciles sont présentées en détail sur notre site, sur la page consacrée à notre verger palissé.



Ces différentes formes fruitières ne sont pas le fruit du hasard mais ont été conçues sur la base des observations des jardiniers. En particulier, je vous propose de réfléchir un moment à la façon dont la sève circule dans nos arbres fruitiers. Je dis souvent aux stagiaires que, contrairement à ce qu’ils croient, ils ne suivent pas un stage de jardinage mais une formation de plombier. Certes, on n’a pas affaire à des tuyaux de cuivre mais c’est bien de la bonne répartition des liquides que l’on appelle sèves que va dépendre la bonne santé et la croissance de l’arbre… et sa capacité à porter des fruits. L’arbre puise ses ressources dans le sol et la sève dite brute (eau et sels minéraux) est conduite jusqu’aux extrémités de la plante où, dans ses feuilles, se produit la photosynthèse et la transformation de la sève brute en sève élaborée qui se répartit dans tous les organes de l’arbre en redescendant. Or toutes les parties de l’arbre ne reçoivent pas un flux de même débit. Dans beaucoup de cas, et en particulier pour les arbres fruitiers, plus une branche est érigée, plus elle va recevoir un flux important de sève, un peu comme un jet d’eau qui jaillirait du sol. La plante pousse alors, c’est-à-dire qu’elle produit du bois. Mais de fruits, point ! Pour obtenir des fruits, il faut que le flux de sève soit ralenti, ce qui est le cas dans les branches secondaires (les coursonnes) ou lorsque les branches principales sont arquées à 60 ou 45 degrés environ (les croisillons), ou même à l’horizontale, en cordons. C’est aussi pour répondre aux exigences des flux de sève dans les arbres que les formes fruitières ne comportent JAMAIS de branches orientées vers le bas mais toujours vers le haut, même si la pente est très faible.
La taille de formation des jeunes arbres
La taille de formation vise à établir la structure de la charpente. Durant cette étape très importante, on recherche l’équilibre de l’arbre et la formation de branches trapues. On les taille sévèrement chaque année pour leur permettre de se renforcer et de se couvrir de coursonnes comme nous venons de le décrire. Nous présentons ci-dessous l’exemple de la formation d’un gobelet de pommier ‘Reinette du Grand Faye’. Le scion a été étêté au printemps suivant sa plantation. Trois branches se sont développées à partir des trois bourgeons supérieurs. Elles ont été taillées de nouveau très court au printemps suivant. Et des rameaux se sont développés dans le prolongement de ces axes pour atteindre environ 60 cm à l’automne. Chacune de ces branches est de nouveau raccourcie au printemps suivant.



Ces première tailles sont décisives pour le devenir des arbres fruitiers. Elles sont rapides à effectuer car chaque arbre ne requiert que quelques coups de sécateur. Mais chacun d’eux est important. Il faut choisir soigneusement la hauteur ou la longueur de chaque rameau et le bourgeon sur lequel tailler. La principale erreur à éviter est d’aller trop vite ou de se placer sur le côté de l’arbre. Pour choisir l’oeil sur lequel tailler, il est préférable de se placer face à l’axe de la branche que l’on est en train de tailler. Faute de pratiquer ainsi, on fait des erreurs difficiles à corriger par la suite, comme dans le cas de l’abricotier montré ci-dessous.

La taille de régénération des arbres palissés âgés
C’est probablement la plus difficile des tailles : reprendre des arbres palissés qui ont été abandonnés quelques années. Pour régénérer des arbres fruitiers de plein vent, on procède à une réduction de couronne ou à un éclaircissage, ou une combinaison des deux et on arrive rapidement à une restructuration de l’arbre.
Pour les arbres palissés, le problème est plus complexe. Il s’agit en effet de rétablir une forme donnée et là encore, il faudra procéder par étapes : commencer par un diagnostic de vitalité de l’arbre, puis recenser les éléments de l’arbre sur lequel on pourra s’appuyer et enfin, pour les cas les plus difficiles, établir un programme de taille sur deux ou trois ans.
Diagnostic de vitalité et recensement des organes
Certains arbres ne peuvent pas être rétablis dans une forme palissée. Par exemple, si trop de coursonnes ont disparu le long des branches. Et s’il reste un peu de végétation, il faut vérifier qu’elle part bien au dessus de la greffe, sinon, on risque de reformer… un franc ! Autant remplacer ces arbres rapidement. La photo de gauche ci-dessous présente un arbre dont le tronc est très abîmé, et dont la sève ne circule plus. L’arbre du milieu a perdu toute vitalité et il vaudrait mieux l’arracher. En revanche, la photo de droite présente un arbre très ancien, certes, mais qui porte de nombreuses coursonnes et qui sera encore bien productif. Il suffit de le tailler annuellement soigneusement, en veillant à laisser assez de bois jeune, les brindilles par exemple, et d’éclaircir soigneusement les fruits pour laisser des ressources à l’arbre pour pousser. Et on veillera à protéger les nouvelles pousses spontanées qui seraient bien placées et donc pourraient servir à compléter la structure.



Taille de régénération
On ne peut régénérer de façon satisfaisante que les arbres dont la structure apparaît encore clairement. Certains cas sont faciles, l’arbre a simplement trop poussé et il suffit de supprimer les branches superflues. Très vite, on retrouve la forme. A condition de pratiquer une légère taille d’été, l’arbre portera de nouveau des fruits au bout d’un an ou deux. Il est également recommandé de restaurer le palissage sur le mur. Un travail un peu fastidieux mais très efficace pour soutenir l’arbre… et pour le rendu esthétique !



Mais, c’est parfois un peu moins simple. La photo ci-dessous montre un cas fréquent d’arbre très vigoureux qui a poussé tout en hauteur et a perdu ses coursonnes sur toutes les branches du bas. Les rameaux en hauteur sont des gourmands improductifs. Il ne suffit pas de les couper car ils repousseraient de plus belle, telle une brosse. Vigueur et fructification ne font pas bon ménage en arboriculture fruitière. Il faut donc reprendre la taille assez doucement pour que l’arbre ne réagisse pas en produisant des fagots de bois ! Le meilleur moyen est d’étaler le programme de taille sur deux ou trois saisons.

Une taille régulière et bien conduite, c’est à dire progressive, permettra à l’arbre de porter de nouveau des fruits, mais il ne sera pas possible de revenir à la structure ordonnée d’un arbre qui a été régulièrement taillé et soigné. Tailler un arbre palissé n’est pas difficile mais demande un peu de patience et beaucoup de persévérance. Le résultat est à la hauteur du soin apporté et il y a peu de choses plus jolies dans un jardin qu’un arbre palissé couvert de fruits. S’il est nécessaire de vous en convaincre, voici pour finir une photo prise au Potager du Roi, à Versailles. Difficile de faire mieux.
