Blog 2022 08 Sécheresse et jardins, comment les concilier ?

Que faire quand la canicule sévit et que nos jardins souffrent ? Face à ce défi, chacun recherche des solutions et certaines sont plus efficaces que d’autres. Commençons, pour l’écarter bien vite, par une méthode qui me paraît bien saugrenue mais dont l’usage se répand paraît-il.

Il s’agit de peindre sa pelouse en vert

Les californiens, rois des truquages et effets spéciaux (en tous cas dans une certaine banlieue bien connue de Los Angeles) sont confrontés à une sécheresse record depuis près d’un siècle et désormais également à l’interdiction d’arroser leur jardin. C’est bien ennuyeux dans un pays où les propriétaires urbains n’imaginent pas leur villa autrement que posée dans un écrin de verdure dont l’élément principal est une pelouse. Jusqu’à présent, les jardiniers achetaient plutôt quelques rouleaux de gazon et remplaçaient les espaces trop abîmés. Mais la sécheresse se fait trop intense, les rouleaux sont chers et, faute d’un arrosage approprié, la reprise est médiocre, donc on n’est pas très avancé. Alors, de guerre lasse probablement, certains ont trouvé un moyen plus efficace de conserver une jolie couleur verte à leur pré carré, soit en installant du gazon synthétique, soit, plus récemment, en peignant le sol, tout simplement. 
Xtreme Green Grass se présente comme la société de peinture de pelouses leader sur le marché californien. Les affaires se développent vite dans le jardinage en trompe l’œil et le magazine anglais ‘The Economist’, notait déjà en 2014 que le chiffre d’affaires de cette société (dont le nom ne s’invente pas ne s’invente pas !) avait progressé de 75% un an. Pas mal mais moins bien que celui de la société de peintures pour pelouses ‘LawnLift’ dont les ventes ont, elles, progressé de 300% !

Un des arguments de vente de Lawn lift est que la dépense en eau pour arroser les pelouses des particuliers aux USA correspond en moyenne à la moitié de la consommation en eau du foyer. Je répète, pour ceux qui croirait que je me suis trompée dans les chiffres : la dépense en eau pour arroser les pelouses des particuliers aux USA correspond en moyenne à la moitié de la consommation en eau du foyer. On comprend donc facilement pourquoi il est urgent de stopper les arrosages quand l’eau se fait rare partout.
Mais ce n’est pas si facile : si la pelouse cesse d’être arrosée, elle sèche très vite et prend un aspect bien désolé. D’abord, c’est assez laid, mais aussi, le propriétaire se retrouve bien souvent dans une situation de violation du règlement de copropriété qui précise souvent que les pelouses doivent être entretenues.
De là à peindre le sol !  Bien entendu, cette pratique (je me refuse à employer le mot ‘solution’) n’est pas sans inconvénient. Tout simplement parce qu’exposer un produit chimique sur le sol autour de votre maison présente des risques pour votre santé. En fait, cette démarche m’a semblé si incongrue que je me suis renseignée sur les produits… et je n’ai pas été déçue. Outre les irritations possibles aux poumons, aux yeux, à la peau, les producteurs mentionnent que le produit peut avoir des effets potentiellement aigüs. Sans compter que la notice ne met en garde que contre les inconvénients à court terme. Mais s’agissant d’une pelouse autour d’une maison, on doit sans doute envisager aussi les effets à long terme. L’information sur la toxicité du produit est édifiante : récapitulant les différents types de toxicité (chronique, effets mutagènes, tératogènes ou sur le développement) la réponse laconique est ‘aucun connu’. Et pour l’impact sur l’environnement (eco-toxicité et bio-dégradation notamment) : aucune donnée disponible.
Je cite un peu longuement cet exemple de peinture des pelouses parce qu’il illustre bien à mon avis à quel point certains agissements peuvent être déviants par rapport à une fonction initiale. Au même titre que trop regarder un arbre peut faire oublier la forêt, trop regarder les brins d’herbe font oublier la pelouse. La fonction initiale de celle-ci est de participer à la création d’un cadre de verdure, un abri frais et reposant. Mais au fil des années, un conformisme navrant s’est imposé dans ces banlieux californiennes. Quelques arbres et arbustes, une grande pelouse abondamment arrosée, de larges allées bétonnées et le décor est posé pour un pseudo jardin : banal, pratique, demandant peu d’entretien hormis une bonne tondeuse et un réseau d’arrosage. Ni fouillis, ni biodiversité.  Mais quand l’eau vient à manquer, le modèle s’effondre.

Pomper et utiliser l’eau du sous sol

La sécheresse actuelle fait progresser les mentalités partout dans le monde, enfin dans le monde qui se croyait à l’abri de la sécheresse. En particulier, particuliers, agriculteurs et autorités locales qui gèrent l’approvisionnement en eau des villes doivent reconsidérer leur position en ce qui concerne le pompage des nappes phréatiques. Longtemps, les jardiniers des villes ou des champs ont considéré qu’arroser avec des eaux de pompage ne portait pas à conséquence. Il ne pleut pas ? Pas de souci, j’ai l’eau de mon puits, ou du ruisselet qui passe dans mon jardin. Et moins il y avait d’eau à utiliser en surface, plus on pompait. Solution simple… et bête, ça va parfois de pair. Ainsi en Californie environ 65% de l’eau utilisée en 2014 provenait de pompages directs, contre 40% environ les années précédentes. Mais cela n’est juste pas durable et le magazine GEO notait, en août 2021 que la guerre de l’eau aurait bien lieu en Californie. 

Champs irrigués

Le grand public s’est (enfin) rendu compte que le problème est très compliqué, et grave. On réexamine le concept de nappe phréatique et on se rappelle que cette eau de sous sol est un bien commun et que trop pomper entraîne invariablement des problèmes de salinité. Et si l’eau fraîche venait à manquer ?

Salinité (Source : Wikipédia)

Une fois l’urgence reconnue, on réfléchit à des moyens de préserver cette ressource précieuse. Santa Cruz, par exemple, a depuis près de 10 ans rationné l’eau et interdit de remplir baignoires et jacuzzis, tout en instituant des amendes et des classes d’instruction civiques (« water schools ») pour les contrevenants. Les résultats ont été à la mesure des moyens employés : une baisse de 26% de la consommation d’eau dès la première année par rapport à l’année précédente.
Et bien sûr, arme ultime, on peut facturer l’eau à un prix qui reflète la valeur de ce bien rare pour la communauté. Toute l’eau utilisée, c’est à dire celle du réseau de distribution mais aussi celle pompée localement, serait enfin prise en compte et facturée à chaque immeuble… mais en 2025 seulement. Certains progrès ont un peu de mal à passer dans les actes.
En attendant ces mesures radicales, chacun de nous peut commencer par faire le meilleur usage possible de l’eau qui est à sa disposition
Pour commencer, on peut installer des citernes pour récupérer l’eau de nos toitures, ce que les anglo saxons appellent « water harvesting », ou ‘récolte de l’eau. J’aime bien ce terme qui, en la comparant à une récolte, souligne combien l’eau est précieuse. Dans la bible (dans le livre de la genèse), Joseph est enfermé par ses frères dans une citerne avant d’être vendu comme esclave par ses frères. Tiens ? une citerne. Elle était probablement vide à ce moment de l’année, mais oui, le Moyen Orient a une longue tradition de conservation de l’eau. L’eau que l’on récupère ainsi ne permet pas d‘arroser une pelouse, d’ailleurs, on n’y pense même plus, mais elle fournit de l’eau à verser au pied des végétaux les plus fragiles et quelques arrosoirs peuvent faire une vraie différence et éviter la mort de tel ou tel joli arbuste.
Sans aller jusqu’à la récupération bien organisée de toutes les eaux grises de la maison, une solution à laquelle on viendra peut-être, on peut aussi reprendre les gestes que l’on a vu faire à nos grands-mères qui ne perdaient pas une cuvette d’eau de rinçage des légumes, par exemple.
Mais surtout, il faut soigner le jardin de telle façon que toute goutte qui tombe au sol lui profite et dure ! Bien sûr un orage violent ou un épisode de grêle peuvent causer des dégâts par leur violence. Mais il n’empêche qu’il faut à tout prix récupérer toute l’eau qui tombe, parfois bien violemment. Cela veut dire entretenir la perméabilité du sol et réfléchir au circuit de l’eau qui ruisselle. Autant que possible il faut retenir l’eau chez soi et l’empêcher de filer dans les égouts, au demeurant bien souvent saturés lors d’un épisode orageux. Cette préparation consiste à :

  • Repérer et supprimer autant que possible tous les endroits où le sol a été imperméabilisé. Le fameux ‘drive in’ des américains, l’entrée du garage, certaines circulations. Et les remplacer chaque fois que c’est possible par des grilles au sol au travers desquelles l’herbe pourra pousser et être tondue.
  • Installer de larges cuvettes autour des arbustes. Si le jardin est en pente, il faut souvent renforcer le bord de la cuvette, au haut et en bas, par des pierres.
  • Installer des paillages sur les parterres : cela permet d’absorber beaucoup d’eau mais, pour une bonne efficacité, il ne faut pas se contenter de recouvrir le sol, il faut installer une bonne épaisseur (3 ou 4 cm). Et si vous n’avez pas de paille, pas de souci, les tontes de gazon, le mulch, toutes sortes de débris végétaux conviendront parfaitement.

En fait, l’idée conductrice est qu’un sol ne doit jamais être laissé nu, et surtout s’il est ‘battant’, c’est-à-dire s’il a tendance à se compacter sous l’effet des gouttes d’eau. C’est le propre des sols contenant une forte proportion d’argile ou de limons. Les sols sableux ne sont pas battants.
Et quand on a épuisé toutes ces solutions simples : que faire quand il n’y a pas d’eau ? Certes, nous n’avons guère eu à arroser nos pelouses l’été dernier (en 2021). N’empêche, on savait que la sécheresse reviendrait bien une année ou l’autre, surtout si le réchauffement climatique se poursuivait… Et c’est bien le cas.
Donc il faut réfléchir sur le long terme. Et l’attitude qui paraît la plus raisonnable est de s’adapter. Pour cela, on a besoin de réfléchir et peut être,  de changer de repères : que souhaite-t-on dans son jardin, un havre verdoyant ou un tapis d’herbe ?
Déjà, on peut adapter notre façon de tondre ou de faucher. La température au sol varie en effet largement selon la hauteur de l’herbe qui le recouvre. Si l’herbe est laissée haute, le sol se maintiendra à environ 19 ou 20°. L’herbe coupée à 10 cm, ce qui est assez haut, résultera en une température de 24 ou 25°. Mais si l’herbe est coupée à ras, laissant le sol nu, celui-ci subira des températures de plus de 40°. La différence est donc très sensible. Laisser un sol chauffer au soleil a de graves conséquences sur la biodiversité car toute la faune qui vit proche de la surface du sol est détruite. On peut donc adopter une attitude différenciée : on continue à faucher les allées sur une largeur juste suffisante pour permettre une circulation facile et on laisse haute l’herbe tout autour.

Ensuite, on peut adapter la gamme végétale. Les jardiniers japonais sont depuis longtemps passés maîtres dans l’art du trompe l’œil. Et à défaut de pouvoir faire pousser un gazon tel qu’on le conçoit en Europe, ils créent des oasis verdoyantes. 

Oasis à Paris : Parc André Citroën (Paris)

Si l’on recherche absolument cet effet de tapis vert, certains végétaux couvre sols sont particulièrement bien adaptés. Les japonais ont développé l’art de faire pousser de très nombreuses variétés de mousses, à développement plus ou mois dense et dans une gamme étendue de verts.  Ceci leur permet de choisir les variétés les mieux adaptées à chaque jardin. Certaines mousses ne s’établissent bien que dans des milieux bien humides, mais d’autres, si elles sèchent en été, reprennent vite des couleurs aux premières pluies d’automne. 

En France de nombreuses variétés de géraniums vivaces résistent très bien à la chaleur. Et des tapis de sédums nains commencent à apparaître dans les espaces publics très arides, la ligne T9 à Paris, par exemple. Et si on souhaite un peu de hauteur on peut choisir des arbustes tels que les mahonias, les berbéris, les osmanthes ou les filaires. En revanche, je ne vous conseille pas les banquettes d’azalées comme ci-dessous, à Kyoto. Pas d’eau, pas d’azalée.

Pour les parcs et grands jardins, on peut remodeler l’espace petit à petit et en observant l’évolution de la flore, en particulier des graminées qui s’installent au fil des saisons, aller dans le sens de ce que l’on observe et choisir des plantes dans les mêmes familles que celles qui s’installent spontanément, un sujet sur lequel nous reviendrons, c’est sûr.

Au fond, la seule règle à suivre est de regarder la nature en grand et en petit et de s’adapter en conséquence.

Trottoir colonisé

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