Le Jardin des Merlettes compte de nombreux espaces dédiés à la culture des fleurs. Nous y avons adopté des principes de culture qui reposent sur le choix de plantes faciles à cultiver et capables de vivre ensemble. L’énoncé semble simple mais demande une bonne dose de réflexion.
- Un choix de plantes ‘sans souci’
Notre choix s’est tout d’abord porté sur des végétaux bien adaptés aux conditions édaphiques (sol, vent, climat…) du jardin, autrement dit, des facteurs que le jardinier ne peut pas changer. Ensuite, on a privilégié les plantes demandant peu d’entretien et peu gourmandes en intrants, au premier rang desquels l’eau. Il s’agit donc de plantes qui pourront se plaire au jardin malgré :
- Le sol : une terre très argileuse qui est gorgée d’eau durant plusieurs semaines de suite en hiver mais qui est dure comme de la brique en été.
- Le climat : des températures bien froides en hiver et un vent fort, une sécheresse parfois prolongée au printemps et aussi en été. En 2022, il n’est tombé que 8mm de pluie entre le 30/06 et le 19/08. Pourtant, nous n’avons pas arrosé nos parterres de fleurs.
- Un entretien très limité : le Jardin des Merlettes est conduit en gestion différenciée. Certains espaces (le verger palissé, et dans une moindre mesure la roseraie) font l’objet de soins réguliers, mais les parterres de fleurs sont classés dans une catégorie beaucoup moins jardinée et bénéficient donc de moins de soins.
Et, condition supplémentaire pour entrer au jardin, nous souhaitons que ces plantes, dans leur ensemble, offrent à voir des tableaux colorés toute l’année : un calendrier soigné pour que les parterres offrent une succession de fleurs ou feuillages à nos visiteurs
Cette démarche est longue et parfois bien décevante. Combien d’essais réalisés ! Mais au résultat il est clair qu’il existe des plantes vivaces particulièrement bien adaptées à nos critères, ainsi que des annuelles, bisannuelles et certaines plantes bulbeuses qui se plaisent et se reproduisent sans difficulté. Notre recherche continue donc paisiblement avec de temps en temps des découvertes qui nous ravissent. Et nos listes jumelles, celle des plantes favorites (la liste d’or) et celle des plantes à éviter (la liste noire) s’allongent un peu plus chaque année.
2. Des plantes capables de vivre ensemble : Une attention particulière portée à la phytosociologie
Les plantes sélectionnées doivent être capables de vivre ensemble en harmonie dans le même espace (concept de synusie). Lorsqu’une plante a fini de faire son show, elle disparaît au profit d’une autre. Les pervenches de la fin de l’hiver, par exemple, ne laissent pas deviner les pivoines qui se développeront en avril et qui laisseront à leur tour la place aux asters d’automne. Un même endroit, trois floraisons au long de l’année sans que le jardinier intervienne.


Cela implique qu’une plante ne soit pas si dominatrice qu’elle se développe en étouffant tout ce qui existe autour d’elle. Les plantes sont en effet installées à demeure et sont donc libres de se développer comme elles le feraient dans la nature. A nous de surveiller de ne pas introduire de pionnière à volonté colonisatrice. Bien entendu, certaines espèces se développent plus vite que d’autres et notre travail consiste à intervenir pour rééquilibrer de temps en temps la distribution de l’espace. Une façon de planter et d’entretenir bien différente des ‘mixed borders’ anglaises où les plantes sont soigneusement regroupées par masse d’une même espèce et le résultat réfléchi et contrôlé à l’avance. Au Jardin des Merlettes, au contraire, les plantes s’entremêlent et se confondent et un parterre n’est jamais tout à fait pareil d’une année sur l’autre. La sélection des plantes est la même, pas leur répartition.
A titre d’exemple :
Les championnes :
- Vivaces : certains iris (sibirica et spuria), les pivoines (toutes herbacées), asters (grandes variétés), les hémérocalles et lysimaques de toutes variétés, les sedums (les grands), gauras, campanules (persicifolia), renouées, les pervenches (vinca minor) et géraniums vivaces qui s’installent en couvre sol. Et en fleurs naturelles : les violettes, les primevères (horticoles et primula sp ) et certaines variétés d’orchidées (4 variétés d’ophrys se reproduisent naturellement au jardin).
- Annuelles : Nigelles de Damas et ancolies
- Bisannuelles : les lychnis coronaria (championnes toutes catégories), les campanules à feuilles de pêcher, et les roses trémières
Plus délicates :
Les digitales, scabieuses, silènes, tradescantia, catananches, les iris germanica et intermédia, les asters de petite taille (dumosus), les pivoines arbustives.
A éviter car elles ne résistent ni au climat ni à l’envahissement des autres plantes :
Certaines sauges, les agastaches anisés, les eremurus, les tradescantia, agapanthes, hellébores, les saponaires, épimédiums, astrantes et fraxinelles.



Et il ne faut pas oublier :
Les bulbes :
Les gagnantes sont les camassias, narcisses, perce neige, aulx (toutes variétés), les iris hollandais, les dahlias (à condition de les arracher chaque automne pour les replanter au printemps car ils pourrissent dans le sol détrempé en hiver) et, en plus modestes mais robustes les oeufs de pintade (fritillaria meleagris) et les cyclamens.
Pour les lys, le succès est mitigé : les lys martagon résistent bien, d’année en année, mais on prend soin de les planter en entourant le bulbe d’une poignée de cheveux, pour décourager nos souris champêtres.
En revanche, la plupart des variétés de tulipes et de crocus sont bien adaptées mais ne résistent pas car elles sont dévorées prestement par les campagnols.



Les graminées :
Elles sont plus difficiles car très spécifiques en termes de milieux. Sur une vingtaine de variétés plantées au cours des années, et en l’absence de soins spécifiques, seules quelques-unes ont résisté plus de trois ans, dont deux variétés de miscanthus sinensis et de deschampia et un pennisetum. En fait, celles qui s’acclimatent le mieux sont celles qui viennent toutes seules. En particulier celle ci (Briza media ?) qui forme des tapis aériens au début de l’été.

Les parterres de fleurs du jardin ont été créés pour des raisons esthétiques bien entendu, pour profiter de jolies fleurs tout au long de l’année, mais aussi, s’agissant d’un jardin botanique, pour pouvoir observer quelles stratégies d’occupation du territoire ces plantes développent pour survivre, voire prospérer et comment elles se débrouillent les unes par rapport aux autres. C’est ce que l’on appelle la phytosociologie. Car toutes les plantes n’ont pas les mêmes possibilités : certaines, dites cespiteuses, restent à un endroit donné, en multipliant le nombre de tiges, comme les asters et forment une touffe de plus en plus fournie au fil des ans. D’autres ont une stratégie de développement complètement différente. Elles produisent des tiges traçantes sur (stolons) ou sous (rhizomes) le sol qui développent de nouvelles plantes tout au long de leur tracé.


Nous expérimentons aussi la cohabitation de plantes ‘horticoles’ et de plantes adventices. Certaines de celles-ci, ont tout à fait à leur place dans les massifs, comme la linaire commune, les euphorbes, … à côté de nos vivaces ‘championnes’ qui ne sont certes pas bourguignonnes mais se sont ‘naturalisées’ au jardin.
Et nous observons comment toutes ces plantes réagissent à l’envahissement du chiendent, présent partout au jardin. Certaines, parmi lesquelles les grandes marguerites d’été et les oreilles d’ours (stacchys lanata), s’en préoccupent bien peu !
Enfin, nous cherchons à favoriser le développement de ‘belles indigènes’ comme les séneçons, les épilobes, les matricaires, et aussi de mille graminées et petites plantes qui attirent autant d’hôtes au jardin et participent ainsi à la biodiversité. Ainsi l’épilobe est la plante hôte du syrphe dévoreur de pucerons.


3- Les parterres de fleurs du jardin
Nous avons commencé en avril 2007 par planter dix parterres entre les pylônes des pergolas de rosiers pour observer l’évolution des équilibres entre les variétés de vivaces. Cette première expérience nous a convaincus de la nécessité de planter très serré pour éviter l’envahissement par les plantes adventices. Les parterres nous ont vraiment surpris en 2022 par la densité de leur floraison. Il faut dire que toutes les pluies du printemps et de ce début d’été de cette année les ont gâtés.



L’expérience s’est poursuivie par la création d’une longue platebande de fleurs en gestion libre face au verger palissé. Une matrice de plantation a été définie et elle a été appliquée. Les seules interventions, dans les premières années, ont constitué à densifier la plantation et maintenant, on se contente d’enlever deux fois par an les ronces qui peuvent tenter de s’y implanter. Les autres mauvaises herbes n’ont pas assez d’espace pour s’y installer.

Les plantes ont été choisies parmi les plus solides que nous ayons expérimentées à ce jour : asters, hémérocalles, marguerites, iris sibirica et spuria et différentes variétés de lysimaques.






Différentes variétés d’asters, d’hémérocalles et de lysimaques
Le troisième espace expérimental de plantes vivaces est un grand cercle d’environ 16 mètres de diamètre divisé en quatre parterres égaux et situé au centre du fruticetum. Nous y avons planté une collection de pivoines et d’iris. Là encore, nous recherchons des plantes compatibles avec ces deux espèces pour densifier la plantation et multiplier les tableaux tout au long de l’année. Seule réserve : pour le bénéfice de l’étude qui y est conduite, nous nous interdisons d’utiliser des espèces de vivaces déjà employées dans un autre parterre, ou seulement de façon très modeste.
Ci dessous l’espace au printemps :



Et l’espace en hiver, été et automne :



Les progrès de ces différentes plantations sont commentés dans nos podcasts : préparation du sol pour des plantations, choix des variétés, floraisons, naturalisation, etc.
Magnifique merci, et digne d’une relecture
Merci de vos encouragements qui nous récompensent bien du travail !
Et faites nous part de vos expériences (bonnes ou mauvaises) dans votre jardin.
Bien cordialement
Merci pour cet article passionnant. La terre de mon jardin a les mémes caracteristiques que la votre, mais envahie par la potentille rampante bien difficile à contenir. Le fait de planter trés serré lui fera t il 1 concurrence efficace?
Bonjour,
Merci de votre message : La potentille rampante a des racines pivotantes assez profondes donc effectivement, je ne conseillerais pas d’essayer de l’arracher, vous y perdriez votre énergie. En revanche, une solution peut consister à lui faire de l’ombre car elle n’est pas bien haute et aime le soleil. Elle ne se plaira à l’ombre d’aucune des plantes bien résistantes que je mentionne. Ne plantez pas trop serré pour permettre à chaque vivace de développer une belle touffe, que ce soit des sedums ou des hémérocalles, iris spurias, etc.
Bon courage
PS Je vous rappelle que juillet est une bonne saison de plantation pour ces vivaces.
Un grand merci pour cette réponse qui me plait beaucoup : je vais arrêter de m’échiner à déloger la potentille et je vais lui “faire de l’ombre”!
Je n’aurais pas penser planter en juillet les vivaces dont vous parlez mais si vous le dîtes..
J’apprécie réellement beaucoup votre site et votre blog.
En fait la période de repos pour les iris commence dès après leur floraison : c’est donc le moment de les arracher et de les diviser. Vous pouvez ensuite les laisser reposer (dans un peu de sable, par exemple) en ayant pris soin de couper leur tiges fanées et leurs feuilles à environ 15 cm de la base, en attendant de décider où vous souhaitez les replanter. C’est aussi le bon moment d’en envoyer à vos amis !
Quand vous les replanterez, il leur faudra quelques semaines pour produire de nouvelles racines et vous verrez alors la feuille du milieu commencer à s’allonger.
Pour les hémérocalles, c’est encore trop tôt car elles sont tout juste en fleurs, mais d’ici 2 ou 3 semaines, ce sera bien. Même traitement que pour les iris.
Divisées et replantées ainsi à cette saison ces plantes fleuriront dès l’an prochain.
Quelle gageure que ce jardin qui semble vivre par lui-même dans sa diversité: automne, hiver, printemps été, toujours un plaisir des yeux qui nous enchante. Un rêve éveillé.
Merci pour vos encouragements.
En effet, c’est un défi toujours renouvelé, avec des surprises à chaque saison !
Très intéressant cet article merci pour le partage ( et ce beau jardin)
Merci de vos encouragements et de votre bienveillance !