
De toutes les figures héraldiques du Moyen Age, aucune n’est plus répandue que la fleur de lys, qui symbolise à la fois le pouvoir royal et la protection divine. Cette symbolique se retrouve dans les plus anciennes civilisations, en Égypte et en Inde, comme signe de vie et de résurrection. Or, à y regarder de plus près, il ne s’agit pas d’un lys mais plutôt d’un iris et plus particulièrement de l’iris des marais (Iris pseudoacarus) que l’on trouve couramment dans la plus grande partie de l’Europe et de l’Asie.
Beaucoup de jardiniers sont assez catégoriques à propos des iris. Ils les écartent de leur jardin au motif qu’ils sont trop rigides, trop colorés et ne durent pas assez longtemps. J’espère que vous faites partie de ce groupe car je pourrai ainsi tenter de vous convaincre d’installer quelques iris dans votre jardin et vous permettre de profiter, année après année, de leur beauté remarquable. Car il en va des iris comme des pivoines : ces plantes sont des amies fidèles du jardinier. Année après année, elles refleurissent, même si, et cela peut arriver, vous les avez un peu négligées.
Et ça vaut vraiment la peine d’y regarder de plus près. Dire que l’on n’aime pas les iris, c’est comme de dire (pour faire une comparaison digne d’un jardinier) que l’on n’aime pas les abricots sans jamais en avoir goûté un qui a mûri sur l’arbre et que vous avez cueilli vous-même.
Quant à leurs supposés défauts, nous vous ferons la même remarque que pour les tulipes dont nous avons discuté à l’épisode 4 de la saison 2 : tout dépend du soin que l’on prend à choisir les variétés. Là réside le secret de votre succès avec les iris comme avec la plupart des plantes.
(Une grande diversité botanique)
Quand on dit ‘iris’, on parle d’un groupe de fleurs qui sont bien différentes les unes des autres. Il s’agit en effet d’un genre très étendu (210 espèces recensées et un nombre infini de variétés) et de classification botanique particulièrement compliquée. Tous ont en commun des fleurs composées de six éléments : 3 pétales en partie supérieure et trois sépales en partie inférieure et qui retombent plus ou moins selon les espèces. En revanche, la plus grande différence entre les espèces tient à un caractère invisible au premier abord car souterrain : leurs racines. Car, s’il s’agit dans tous les cas de plantes vivaces mais certaines espèces d’iris sont à rhizomes tandis que d’autres sont bulbeux.
Les iris bulbeux comprennent deux sections, les iris Reticulata et les iris Xiphion. Derrière ces noms un peu compliqués se cachent des plantes très familières.
L’Iris reticulata ne mesure qu’environ 15 cm de haut et fleurit dès la fin février, en même temps que les perce neige. Il ne faut pas le confondre avec l’iris nain qui lui est à rhizome. Ses fleurs bleu violet, de 2 à 7 cm de large, portent une tache jaune d’or au milieu de chaque sépale. Ses feuilles commencent à pousser quand la fleur s’épanouit. Elles peuvent atteindre 30 à 45 cm avant de disparaître au début de l’été. L’iris reticulata suit donc exactement le cycle de vie des plantes bulbeuses qui ont besoin de ‘recharger’ leur bulbe en éléments nutritifs grâce à la photosynthèse effectuée par leurs feuilles puis se mettent en dormance jusqu’à l’année suivante. En février encore, l’iris Danfordiae , 15 cm de hauteur, qui s’adapte particulièrement bien aux potées et aux jardins de rocaille.
Les iris Xiphion comprennent, entre autres, les iris espagnols, les iris anglais et l’iris hollandica, un croisement entre iris espagnols et iris d’autres espèces.Dès le printemps ils produisent de longues hampes rigides de 30 à 60 cm qui fleurissent de mi-mai à début juin. En général deux fleurs de 7 à 12 cm par bulbe. Il y en a de nombreuses variétés, bleu, jaune, violet, blanc et des panachés entre ces couleurs. Ils se naturalisent très facilement au jardin et forment vite de belles touffes colorées. Ils sont excellents pour la fleur coupée car ils se tiennent en vase une bonne semaine. Moins connu, l’iris latifolia ou iris des Pyrénées, 40 cm, bleu foncé, fleurit en avril et se naturalise lui aussi très bien. J’insiste sur cette facilité de naturalisation car il en résulte des touffes de fleurs qui se distribuent de façon aléatoire et sont extrêmement décoratives au jardin. Vous êtes toujours libre d’arracher les bulbes en surplus et de les placer ailleurs, ou de les donner autour de vous. Tout disparaît en début d’été jusqu’au printemps suivant sans autre effort de la part du jardinier que quelques apports d’engrais organique.
Parlons maintenant des iris à rhizomes
Les iris les plus fréquemment cultivés dans nos jardins sont les iris barbus (Iris barbata), appelés ainsi parce que des excroissances de poils groupés en une ligne centrale ornent leurs sépales. Ces ‘barbes’ de multiples couleurs peuvent être particulièrement décoratives. Les iris des jardins sont souvent appelés iris germanica bien qu’ils ne viennent pas tous d’Allemagne. Ils ont une tige très charnue, de couleur vert argenté comme leurs feuilles en forme de lances larges. Ils poussent à partir d’un rhizome charnu et qui doit être l’objet de toutes nos attentions, un élément sur lequel nous reviendrons dans un prochain épisode. Leurs fleurs sont parfois imposantes, jusqu’à 16 cm de largeur et offrent toutes les couleurs de l’arc en ciel. Si les conditions de culture sont favorables, et cela a été le cas en 2021, chaque hampe peut porter jusqu’à 4 ou même 5 branchements comprenant de un à trois boutons qui fleurissent à tour de rôle. Beaucoup d’entre eux dégagent une odeur délicate. Ces iris barbus existent en quatre hauteurs différentes :
- Les grands iris : de 70cm à plus d’un mètre de haut
- Les iris intermédiaires (Iris X intermedia) : de 40 à 70 cm
- Les iris lilliputs : de 25 à 40 cm
- Les iris nains ou iris pumilla : de 12 à 20 cm
Dans cette catégorie des iris barbus, il faut mentionner l’Iris pallida, aussi nommé Iris de Dalmatie, de couleur indigo clair, dont chaque inflorescence est enveloppée dans une membrane (une spathe) qui ressemble à du papier de soie. Cet iris botanique, c’est à dire naturel, non créé par hybridation, se naturalise très facilement. Il est très important dans l’histoire de l’hybridation car il est à la base de très nombreuses variétés horticoles. On le voit souvent en bordure de route, à la campagne, le long des vieilles maisons.
Également à rhizome, l’Iris de Kaempfer, originaire du Japon, nommé aussi Iris ensata, est une plante semi aquatique qui pousse en terrain marécageux, dans les endroits humides, en position ombragée. Alors que tous les iris dont nous avons parlé jusqu’à présent poussent dans toutes les terres de jardin, cet iris est un peu plus difficile et se plaît particulièrement en bord de rivière. Cependant, il ne doit pas rester toujours immergé. Ses fleurs, très élégantes, sont simples ou doubles à 6 sépales horizontaux. Leurs couleurs vont du blanc pur au pourpre et au bleu foncé. Hauteur : 0,80 cm à 1m.
De tous ces iris, un de mes préférés est un iris du Japon, l’iris frangé, originaire de Chine occidentale. Je cultive depuis des années la variété «confusa». C’est une espèce d’iris non barbu, mais à crêtes, dont les fleurs et le port sont très différents des autres iris. Il craint le soleil et a besoin d’ombre partielle. Il forme un rhizome traçant sous terre, d’où émergent de nouvelles pousses verticales au printemps. Très différent des iris de jardin, Iris confusa déploie son feuillage vert clair en éventail à l’horizontale ou vers le bas. Il porte 5 à 10 fleurs par tige de 40 à 60 cm de hauteur. Elles sont petites et ravissantes. J’ai le souvenir d’une nappe de ces iris, installée je crois à l’ombre d’un grand cèdre, à l’entrée du jardin botanique de Padoue. Les feuilles formaient comme un tapis ondoyant d’où émergeaient les hampes de fleurs.

Encore plus beau, l’Iris nada, est un croisement entre Iris japonica et Iris confusa. Il porte beaucoup plus de fleurs que l’iris confusa, environ 25 mais parfois jusqu’à 50 fleurs par tige, d’où son nom d’iris papillon.
A découvrir aussi, l’Iris sibirica, est une autre espèce d’iris qui gagne vraiment à être connue. Il a des feuilles plates, étroites, et des tiges ramifiées de 45 à 90 cm de haut. Elles portent plusieurs fleurs, de 7,5 à 10cm, le plus souvent dans des tons de bleus, mais parfois bordeaux, blanches ou violettes. La forme très graphique de ces fleurs et leur longue tenue en vase en fait aussi d’excellentes fleurs à bouquet. C’est cet iris pense-t-on qui a été retenu comme modèle de la fleur de Lys de l’écu royal.
Bien différent, l’Iris spurria est le dernier à fleurir au jardin. D’une hauteur de 80 cm environ, il est admirable par sa robustesse et les couleurs très chatoyantes de ses fleurs. Une idée à suivre pour allonger à moindre effort la durée des floraisons au jardin.
Et, pour conclure cette longue énumération, l’Iris jaune (Iris pseudacorus) dont la tige dressée mesure de 50 cm à 1,50 m de haut et que l’on trouve à l’état naturel sur les rives des eaux dormantes ou courantes, des plaines jusqu’aux montagnes. Il est très facile, très rustique à cultiver et idéal pour créer une zone de transition entre un jardin et la campagne avoisinante.
Je n’irai pas plus loin aujourd’hui, en priant les amateurs d’iris de m’excuser pour toutes les espèces que je n’ai pas citées. Il y en a juste trop, dont certains que je cultive avec un soin jaloux, comme les Iris de Louisiane et les Iris reticulata. Mais j’en ai assez dit au cours de cet exposé pour vous persuader, j’espère, qu’en termes d’iris, il y en a pour le goût de chacun. Nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes attributs. Pour certains, c’est le graphisme de la plante elle-même qui prime, pour d’autres, c’est plutôt la façon dont la plante va apporter une nouvelle dimension à un massif existant.
Si on reprend les critères un par un :
La hauteur est le premier d’entre eux : le choix est très vaste entre les grands barbus ou spurrias jusqu’aux mini pumillas, reticulata ou danfordiae en passant par les iris intermédiaires.
La rigidité ensuite :
Quand on parle de rigidité, on pense avant tout aux grands germanica et barbus. Car les sibirica s’inclinent doucement et ondulent pour ainsi dire sous le vent. Les spurrias sont rigides mais touffus, presque comme un petit arbuste.
Le jardinier est un être bizarre : il se plaint des pivoines qui sont trop hautes et qu’il faut tuteurer. Mais il se plaint aussi des iris qui se tiennent debout tout seuls ! Allez comprendre.
D’ailleurs, on peut aussi considérer la rigidité comme un atout. Car cette bonne tenue de la plante permet d’admirer de loin une touffe d’iris au fond du jardin, pour peu qu’on ait pris le soin de laisser un peu d’espace autour d’elle. En début de soirée, quand les rayons du soleil se font rasants, c’est juste magnifique !
Troisième critère de choix : Les formes des iris offrent maintes options au jardinier, selon le tableau qu’il veut composer :
- La forme et la couleur des feuilles tout d’abord : gris vert, vert tendre, charnue, gracile…
- La forme des fleurs : l’iris royal sibirica (le lys de France), l’immense robe du soir des barbus, ou la délicatesse des japonica
Pour la couleur, les iris barbus sont des champions. En revanche, les iris de Sibérie sont parfaits pour border des allées, d’autant que leurs feuilles sont particulièrement décoratives en automne et en hiver, ce qui n’est pas le cas des autres iris.
Pour l’odeur la palme revient sans conteste aux Germanica. Un plus important pour ceux qui cherchent à créer un jardin de senteur. L’iris au parfum poudré est un excellent candidat dans ce domaine.
Enfin, on peut être contraint dans ses choix par les dates de floraison, un sujet sur lequel nous insistons souvent dans ce podcast. Ce n’est pas la peine de planter des variétés qui fleuriront à un moment où vous n’êtes pas dans votre jardin. Les confinements récents ont d’ailleurs apporté quelques jolies surprises à certains amis jardiniers.
Pour vous rappeler la chronologie des floraisons, par exemple, en Bourgogne Val de Loire :
- Les iris reticulata et iris de Provence fleurissent en février
- Les iris nains : début avril
- Les iris de Hollande et les iris intermédiaires : en avril mai
- Les barbus : de mi-mai à juin
- Les sibirica et les iris anglais : de fin mai à mi-juin
- Et enfin les spurrias et les iris d’eau : de la mi- juin au début de juillet
Pour des floraisons ‘courtes’, avouez que cela couvre quand même plus de 4 mois !
J’espère vous avoir convaincus que votre jardin mérite quelques iris bien choisis. La clé de votre succès résulte, comme souvent, dans le choix de l’endroit où vous les installerez, tant pour répondre à leurs besoins de culture : un iris barbu fleurit très peu à l’ombre et un iris confusa doit être protégé des rayons du soleil, que pour l’effet esthétique que vous souhaitez créer. Mon conseil est de planter un exemplaire de nombreuses espèces différentes, c’est-à-dire, iris barbu, sibirica, iris de Hollande, etc. et de les observer. Quand ils seront bien installés, il faut compter environ trois ou quatre ans, vous verrez de quoi ils sont capables et vous pourrez prendre des décisions de plantation en plus grand nombre… en commençant d’ailleurs par dédoubler vos iris test ! Ce délai vous semble long ? Honnêtement, pas vraiment, quand vous pensez que ces plantes vous survivront probablement. Et puis, n’est-ce pas ce qu’on fait constamment quand on déplace nos vivaces d’un endroit à l’autre, ce qui leur fait d’ailleurs souvent le plus grand bien.